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Installés à Delhi nord dans un quartier tibétain, il fait 45 degrés avec 95% d'humidité, tornades et pluies torrentielles en fin de journée. Un vent fort balance les banderoles de petits drapeaux bleus, blancs, rouges, verts et jaunes qui transportent les prières tibétaines. Les moustiques nous aiment et nous embrassent profondément. Les diarrhées se succèdent durant 10 jours, plus de doute, nous sommes bien en Inde !
Sauve-qui-peut vers la fraîcheur !

Nous prenons la direction de Chandigarh par la "Grand Trunk Road", sorte d'autoroute complètement saturée, plein nord, deux jours pour 225 km. Ciel légèrement nuageux, nous sommes aux aguets dans cette circulation à gauche, folle, rapide et désordonnée. L'oeil droit fixé dans le rétroviseur et l'oeil gauche attentif à l'avant, attention devant ! aux camions, bus, voitures, charrettes, cyclistes, piétons, chevaux, ânes, buffles, vaches, chiens, cailloux, bouches d'égout sans plaque, flaques, nids de poules et poules simplement et j'en passe .. Finalement, comme par magie, c'est chaotique mais ça passe. Nous sommes étonnés et contents.
La rue est un spectacle, un cinéma plein air ou une comédie musicale avec orchestre cacophonique à klaxons endiablés. D'autres cyclistes nous suivent, nous saluent et nous dépassent même dans de violentes poussées sur leur pédales tordues, ils veulent nous voir le visage. Ce sont les pauvres indiens ou commerçants tirant leurs denrées. Leurs sourires et "namasté" (bonjour) sont grands. Ces nouveaux copains ont avec eux deux riches occidentaux. Nous sommes tous ensemble fiers de pédaler sans bruit. Certains faiblissent et disparaissent, immédiatement remplacés par de nouveaux arrivants, l'équipe évolue sans fin comme un relais organisé. Soudainement, nous sommes seuls, la rude montée sur les contreforts himalayens démarre ici, vivement la fraîcheur. Eric est faible, sans appétit et le ventre gargouille fort, il déclare forfait, trop faible pour grimper, nous ne ferons ce jour que 19 km !
L'arrivée à Shimla à 2'205 m est enfin d'une douceur exquise. Les riches indiens aiment s'y réfugier à l'époque des grandes chaleurs. Installés dans une maison coloniale de bois, sofa sur balcon face aux sommets, rêveries, flâneries et les nombreuses pâtisseries nous remettent debout.

Le sikh éguise nos ciseaux
Le sikh éguise nos ciseaux

Un soir, quel hasard, arrive un couple à vélo. Robert et Monika, alias Robi et Moni, deux suisses (évidemment) partis de Zurich en mai 2004. Nous avons roulé deux jours ensemble, quel plaisir d'être en famille !

Entre autre par peur de la circulation, nous décidons d'éviter la route directe du Ladakh (Shimla-Manali-Leh) et optons pour les vallées du Kinnaur, Spiti, Lahaul et Ladakh. Nous savions que ce serait beau mais ne savions pas vraiment que nous allions attaquer plus de mille kilomètres pratiquement sans asphalte, traverser des ruisseaux et rivières, et pousser les vélos dans les parties défoncées par les glissements de terrain. Et il faut le dire, nous n'avions pas bien compris qu'il ne s'agissait pas des Alpes. Je vous explique ..
Nous quittons nos amis à Rampur pour prendre un raccourci pour Sarahan. On estime à 30 km et nous pensons arriver dans la soirée. Les Indiens ne connaissent pas cette route, l'asphalte disparaît et fait place aux cailloux, nous campons dans un pré et verrons demain. Un commerçant connaissant bien la région nous liste les villages à traverser. Nous avons mis 5 jours ½ à rejoindre Sarahan, passés plusieurs massifs à 3'000 m et fait 160 km, 30 par jour dans de dures conditions. Nous ne regrettons pas. Les Indiens n'avaient pour la plupart jamais vu un touriste, l'accueil était vraiment sympa. Malgré les 3'000 m d'altitude, nous nous sentions sur des collines, camping facile dans les prés et ravitaillement dans les villages. J'ai compris, je mets les gros pneus pour la suite.

Il faut pousser dur dans les cailloux
Il faut pousser dur dans les cailloux

Chris se sent toute petite
Chris se sent toute petite

Nous pensions grimper à Sarahan, mais sommes arrivés par le haut. Quelle beauté, ensemble de temples de plus de 800 ans, style "hindou gothique".

La descente dans la vallée est spectaculaire par une route taillée dans la falaise ou bordée de mille petites étoiles.

Vide impressionnant
Vide impressionnant

Comment Eric peut-il encore mettre à jour internet ?
Comment Eric peut-il encore mettre à jour internet ?

La Sutlej, large fleuve sacré, monte lentement mais sans fin. L'impression de haute montagne s'intensifie chaque jour avec les nuages de l'après-midi et de plus en plus de neige sur les sommets. On a déjà compris que cette montagne ne sera pas sans surprises, c'est grand, très haut, sec et désertique, inondé et boueux ou plein de pins comme notre Jura. Mais où que l'on roule, on finit toujours par arriver dans de jolis petits villages typiques.

Depuis le balcon ou l'on prend notre déjeuner, on observe une jeune fille qui très naturellement s'appuie sur mon vélo pour tricoter.

Et l'on reprend la route difficile, parfois effondrée. Les employés venus des régions pauvres du Bihar ou du Népal s'affairent à déblayer et réparer les dégâts (après notre passage, 11 tués par un glissement de terrain), et les "shadu" nous bénissent et nous protègent en nous appliquant une petite peinture rouge entre les deux yeux.

On se dirige sur le village de Nako. Ca monte toujours dans les cailloux et ceux du haut nous font souci. Chris met son casque. Les vallées deviennent profondes et la neige apparaît sur les sommets. Cette étape est trop longue et pas un petit replat pour y planter la tente. Pour la première fois, Chris se fâche, je suis responsable de la situation. Nous arrivons enfin au village à 3'800 m d'altitude.

Mais où va-t'elle ?
Mais où va-t'elle ?

Bien que nous continuions la même vallée, elle change de nom et s'appelle maintenant Spiti dès le village de Tabo où reste un temple de plus de 800 ans (photos interdites). On s'enfonce encore et le paysage change soudainement avant le village de Kaza.

Nous croisons nos premiers yaks (petite pensée pour l'ami cycliste Claude Marthaler), belles bêtes qui ne peuvent vivre dans ces régions qu'au-dessus de 3'000 m.

Malgré la fatigue de tous nos kilomètres à vélo, la beauté des villages et paysages nous fait faire quelques randonnées.

Fleuve et champ de riz
Fleuve et champ de riz

De retour à Kaza le 6 juillet, on a le plaisir de voir un festival en l'honneur de l'anniversaire du Dalaï Lama. Festival organisé par les lamas.

Chris s'intègre !
Chris s'intègre !

Notre premier haut col à franchir est proche, le Kunzum La à 4'551 m. Physiquement, ça va pas mal mais il se met à pleuvoir et devons faire demi-tour. On le franchit le lendemain avec un ciel menaçant. Un stupa tibétain au sommet où les voyageurs prient au passage.

On s'arrête sur l'autre versant au lac Chandra Tal à 4'200 m d'altitude. L'herbe ressemble à une pelouse épaisse, exactement l'idéal pour camper, avec petite plage de sable privée pour trempage matinal (2 mn). Spectacle éblouissant chaque matin, nous y restons six jours et mémorisons ce lieu dans l'appareil.

Un essai
Un essai

Nous rencontrons un professeur d'université en train de mesurer et analyser la pollution en croissance depuis la construction d'une piste d'accès.

Après mille kilomètres, la route continue à ne pas être facile, les ornières font mal à nos vélos et les petites rivières d'eau glacée à traverser nous gèlent les pieds et gare à l'ordinateur qui sert à mettre notre site à jour, il n'est pas étanche.

Nous sommes encore dans la vallée du Lahaul, la petite ville de Keylong en est la capitale. On y reste trois jours. Pas suffisant pour vous mettre notre site à jour. L'atmosphère montagnarde conviviale nous berce, on y flâne et on se laisse aller tout en se préparant à l'idée du prochain col, le Baralacha La à 4'980 m. L'altitude est un phénomène nouveau pour nous et nos 45 kg de bagages chacun ne facilitent rien. Pas mal de cyclistes compétiteurs viennent ici s'essayer aux performances, certains capitulent avec 15 kg de bagages et finissent en bus, ceci n'est pas pour nous rassurer.
Finalement, nous arrivons avec peine au sommet. Non pas physiquement, notre rythme étant suffisamment lent et régulier pour réussir, mais la pluie était glaciale et la piste défoncée pleine de flaques. Pour une fois, j'arrive au sommet avant Christine et me réfugie dans un petit temple à ciel demi-ouvert, toiture emportée par le vent. Chris a froid, nous prenons la photo symbolique, la visibilité ne nous permet pas d'apprécier le paysage. Nous sommes surpris de voir de belles marguerites et un joli petit oiseau. Il y a vie proche des 5'000 m.

Le lendemain, récompense, la route est asphaltée, le soleil est doux et les marmottes sifflent sur notre passage, puis se cachent et réapparaissent, museau levé et oeil guetteur.

Le sable coule des sommets
Le sable coule des sommets

Puis le ciel se recharge de nuages inquiétants, et la montagne s'embrase.

Puis les cols s'enchaînent et l'euphorie nous gagne. Nous passons pour la première fois les 5'000 m au col Nuchli La à 5'020 m et dans la foulée le col Lachalung La à 5'065m d'altitude. L'oxygène se fait plus rare. L'effort doit être mesuré avec parcimonie, avaler sa salive vous étouffe, mâcher un fruit sec vous étouffe, tousser vous étouffe, parler vous étouffe. On monte en silence, tranquillement mais le sport est là et notre résistance, qui commence à être sérieuse, nous emmène au sommet.

Ils délirent ?
Ils délirent ?

La descente sur l'autre versant est une vallée qui nous rappelle la belle Cappadoce en Turquie. L'Himalaya est incroyablement diversifié.

Attablés au soleil, à observer et apprécier ce monde nouveau, nous arrive subitement un saucisson pur porc. Du bus arrêté 5 mn au check point, jaillissent Alain et Florence rencontrés deux mois auparavant à Shimla, un saucisson à la main ! On sort l'Opinel et on le partage à la manière éclair. Nos traditions françaises ne disparaissent pas aussi vite. Quel plaisir de savourer ce petit morceau de cochon séché ! Finalement, l'éloignement du foyer ne nous rapproche-t'il pas un peu d'un patriotisme basic et simplet ?
Il nous reste un dernier col à passer, toujours plus haut, mais cette fois, nous ne voulons plus la pluie de l'après midi, nous campons au pied, au lac Tso Kar à 4 680 m d'altitude et attendrons le beau temps durant trois jours. La route du lac est encore très belle.

Ce n'est pas de la neige, mais du sel
Ce n'est pas de la neige, mais du sel

Ce matin, c'est bien de la neige !
Ce matin, c'est bien de la neige !

Un groupe de français haut-savoyards nous questionne, nous encourage, nous invite à manger et rire comme des fous. Si vous avez deux minutes, faites un petit détour sur le site de leur super guide, spécialiste de l'Himalaya : www.paulo-grobel.com, prêt à vous concocter un p'tit programme sympa.
Le 6 août, 7 heures du mat, le ciel est clair, on attaque le plus haut col de la route Manali-Leh, le Taglang La à 5 325 m d'altitude. Une heure avant l'arrivée, il se met à pleuvoir. Nos vêtements ne sont pas suffisamment étanches. Les gants traversent, la veste traverse, les chaussures traversent, on a froid. On ne se souvient pas d'avoir eu aussi froid. A 5'300, la pluie devient neige et colle sur les cuisses, les bras et le torse. Les pédales disparaissent sous les pieds gelés. Nom de dieu, c'est terrible ! il nous faut pédaler fort avec le souffle court et vite passer ce sommet qui ne vient pas. Nous grimpons depuis 6 h et devons manger. Nous y voilà ! Proches du panneau, banderoles tibétaines et cabane plastique. On déballe un casse-croûte plus énergétique que savoureux. Tous nus dans cette glacière, nous cherchons nos derniers vêtements secs. Le moral est meilleur, on prend la photo symbolique.

Heureux d'entamer la descente, on enfourche avec entrain. Il neige toujours mais il nous faut absolument descendre. Merde, le sommet n'en est pas un ! C'est un plat de 4 km avec chemin défoncé, plaques glacées et boue. Le froid nous gagne à nouveau mais la descente commence, elle durera deux heures, puis le fleuve sorti de son lit coupe définitivement la route. Personne ne passe, même pas l'armée avec ses gros camions. Nous campons donc en bord de route, face à un chaleureux petit dhaba bondé de routiers bloqués depuis deux jours. Je ne pourrai pas souhaiter l'anniversaire de mon fils, pas d'électricité ni téléphone. Nous discutons avec une jeune indienne moderne. A ma question "tu travailles ou tu es étudiante ?" elle éclate de rire, elle est actrice et passe à la TV tous les jours depuis deux ans dans une série télévisée.

La route est ouverte, tout le monde fonce. Sur trois km, on se glisse entre camions, boue, cailloux .. Comment les réparatrices de route avec leur pelle peuvent-elles la réparer puisqu elle n'existe plus ! Elles sont découragées.

Nous arrivons à Leh et nous installons chez une adorable famille ladakhie, ferme typique avec grand jardin dans la cour, 3 vaches et le petit veau ami de Chris. Ce n'est plus de la simplicité mais un art de vivre qui ressemble à la noblesse. C'est un bonheur d'être chez eux.
Depuis notre fenêtre de chambre nous observons le Khardung La, col à 5'606 m d'altitude sur la route la plus haute du monde. Il est saupoudré de neige, il nous attire, nous interroge et nous nargue. Nous irons demain.

Le ciel était clair et la route correcte. C'était long, très long mais un vrai plaisir et une vraie récompense.
Nous sommes donc aujourd'hui à Leh, extrême nord de l'Inde. Il ne reste qu'un retour sur les plaines avant la neige de mi-novembre, mais l'on sait maintenant à quoi nous devons nous attendre. On prévoit le retour par la région du Zanskar, vous en connaîtrez la suite dès notre arrivée à Delhi.
Et pour tous les fous de la montagne comme le copain "Carrée", je prépare un joli graphique des distances et dénivelés pour notre prochaine mise à jour.