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Interview spontanée
Interview spontanée

Bonjour 2006 et tous nos voeux à nos chers lecteurs depuis l’Iran. Le père Noël vous a apporté un vélo et comme nous, vous aller devenir cyclotouristes. C’est en tous cas notre grand souhait, tous à vélo.
Déjà 3 mois sans vous avoir donné de nouvelles, 3 mois pour vous mais 6 pour nous car n’allez surtout pas croire que nous sommes restés si longtemps par amour de l’Iran. C’est simplement un très grand pays dans lequel nous avons dû rouler 2'937 km sans oublier les incontournables visites. En deux mots : on a bossé comme des diables.

Notre parcours en Iran
Notre parcours en Iran

Nous avons beaucoup pédalé, Inch Allah ! Rescapés d’une circulation sauvage, dense, polluée et dangereuse. Deux mois difficiles, nous dirions même très difficiles. Deux mois durant lesquels nous avons griffé quelques notes pour mémoire. Notre IBM Thinkpad X40 conçu pour les voyageurs et pratiquement incassable n’a simplement plus voulu démarrer ! Sans PC et sans aide, aucune représentation IBM en Iran. Nous prenons du retard dans la rédaction de nos textes, classements de photos, mise à jour du site, etc.
Pas de société IBM, discrimination américaine à 99%, ils refusent tout de l’Amérique. Le 1% restant est pour les dollars qu’ils acceptent évidemment goulûment !
Apres l’Iran, les Emirats puis Oman où nous sommes au repos actuellement, le bonheur.
Que reste t'il de la glorieuse Perse, celle que nous apprenons tous à l’école et qui nous laisse des images de beauté et de raffinement ?
On change de l’argent au noir devant les douaniers et policiers indifférents. Christine se noue un chiffon sur la tête, pas le choix, c’est la loi ! Et parfais, je ne la perdrai pas ! Son chiffon à fleurs multifonctions (légèreté oblige) était son paréo des plages chypriotes. Toutes les autres femmes sont de noir coiffées et noir vêtues.
Nous voilà prêts, nous entrons en Iran. Welcome. Notre tél. bip bip... message : accès bloqué. Les portraits géants des barbus Dupont et Dupond, pardon des Ayatollah Khomeini et Khamenei nous font face et nous rappellent leur religion (au cas ou l’on ne saurait pas !).
Maku, première petite ville, Christine s'achète une mini jupe... quelle portera SUR le pantalon, au cas ou l’on verrait des formes ! On s'enfonce dans un cul de sac par curiosité. Une porte s'ouvre, on nous interpelle en français ! Said, avocat, a fait ses études en France et sa femme Sami est docteur. On boit le café, petits gâteaux et nous reviendrons le soir passer une bonne soirée et manger avec eux. En Iran, deux manières de penser nous expliquent-ils : celle qui vient du gouvernement, rigide et obligatoire, et celle qui vient du peuple. Ils ne trouvent pas très normal que leur fillette si jeune doive porter le voile à l'école.

Dès le lendemain nous partons sur les routes, ils roulent vite et ça fait peur quand ça passe très près du guidon, mais des klaxons d’encouragements sont sympathiques. Nos yeux restent plantés dans nos rétroviseurs.

De belles couleurs
De belles couleurs

Il fait encore bien frais !
Il fait encore bien frais !

Les villages se succèdent avec maisons et murets en briques recouvertes de terre. Enclos pour les chèvres en branchages d'épineux, peut-être pour éloigner les loups ?. Said nous avait signalé leur présence et nous avait conseillé d’acheter un grand couteau pour dormir dehors, mais nous ne l’avons pas fait.

Pas de problèmes pour manger, les restaurants sont partout et proposent le repas national : soupe (cette fois-ci avec graines de grenade), kebab de viande hachée, riz beurré, tomates grillées, yoghourt, assiette de crudités (tomates, oignons, cornichons).

Une jeune fille vient nous parler, elle dit que son gouvernement est "awful" (affreux). Il faut dire que les femmes n’ont pas vraiment la vie facile. Il leur est par exemple interdit de faire du vélo. Probablement à cause de la selle qui montre les formes des fesses ! Eh bien non ! A la question : Pourquoi ? On nous répond que le mouvement des pieds excite les hommes. Une jeune fille rebelle nous explique qu’elle s’habille en garçon avec casquette à la Bob Marley afin de tromper la police. Christine constatera plus tard les regards masculins sans gêne et obsessionnels.
Toutes formes de danse sont aussi interdites. Les soirées privées deviennent donc courantes à Téhéran. On danse chez soi et l’on film la soirée afin de vendre en cachette les DVD dans les bazars. Les jeunes couples des provinces regardent donc les gens danser sur leur TV, à l’insu de la police. Les matches de football des championnats du monde sont retransmis par la chaîne iranienne, mais pas la cérémonie d’ouverture, au cas ou l’on verrait quelques jeunes filles à cuisses nues et les paraboles sont interdites mais les toits en sont truffés. La CNN est bloquée depuis quelques jours.
Autres exemples de vie sociale : Même mariés, les couples prenant le bus doivent se séparer, les hommes s’asseyant à l’avant, les femmes à l’arrière. Il y a peu de temps encore, la femme marchait derrière l’homme, tête baissée, le corps entièrement enveloppé du tchador.
Les hommes et les femmes ne se serrent pas la main, la religion leur interdit de se toucher. Cette règle a fait beaucoup d’amis à Christine qui se précipitaient juste pour lui serrer la main. Chris refusera bien vite de la leur donner.
Certaines choses ont pourtant changé, par exemple, il y avait deux heurtoirs sur les portes d’entrée, un pour les femmes, un pour les hommes avec un son différent. De cette manière, l’homme de la maison allait ouvrir la porte aux hommes, la femme aux femmes.

On roule direction Tabriz. Accueillis par des lycéennes (photo en début de texte) qui nous interpellent dans la rue, attroupement, interview en particulier d'une jeune fille nommée Khazar. Le soir, elle vient à notre hôtel avec son frère, sa mère et sa grand-mère pour nous apporter un plat typique, le "koofte" : grosse boule de viande hachée, oignons, épices, noix et oeufs au milieu.
Puis 300 km jusqu'à Zanjan. Jolie petite ville propre et bien restaurée. Nous sommes étonnés par un préposé au thé et nettoyages WC qui, assis sur un tapis, casse les pains de sucre avec un marteau spécial. Les Iraniens ne mettent pas le sucre dans le thé, mais dans la bouche et le font fondre en buvant de petites gorgées.

600 km de Zanjan à Ispahan avec un paysage banal qui n’appelait pas les photos. On fait des pauses relax en pensant à Nathalie, cyclotouriste genevoise heureuse de faire les pauses, amie de Claude Marthaler.
Nous aussi, Nathalie, on aime les pauses ! Après les crêpes, on fait la sieste !

Christine aux toilettes
Dans la petite ville de Saveh, un petit homme nous fait patienter dans son magasin avant l’ouverture d’un petit hôtel. Il propose à Chris de se laver les mains et lui montre où sont les toilettes, nous venons de passer 6h. sur le vélo. Chris est accroupie au-dessus du trou, lorsque tout-à-coup elle voit une tête passer par l’ouverture d’une vitre cassée, il regarde son cul avec délectation. Trop tard. Salaud !!! Chris crie ! Eric gueule. Salaud !!! Je lui crache dessus pendant que Chris cherche à le gifler. Deux clients Iraniens présents dans le magasin nous disent d’appeler la police, mais nous ne le ferons pas, il irait en prison ! On apprendra plus tard que les Iraniennes ne vont jamais seules aux toilettes. On fera plus attention à l’avenir. Ce sera le début d’une série obsessionnelle.
Voici enfin Ispahan tant attendu, une glorieuse cité avec de remarquables monuments. Dommage que l’incroyable pollution, qui nous fait suffoquer, limite la visibilité à 300m.

Notre ordinateur saturé ne démarre toujours pas. Trop de musiques, trop de photos, nous prenons du retard mais deux sauveurs hollandais en Land Rover, Sander et Herbert, passeront 3 soirées à tout remettre en marche, super sympa.

Christine sous sa douche
La veille du départ d'Ispahan, un homme court à la douche avec un sceau comme escabeau et regarde Christine dans la douche d’à côté. J’en parle à l’hôtelier qui le vire sur-le-champ.
Et nous partons pour Yazd, ville plus petite et plus provinciale. 3 jours de vélo dans une plaine désertique. Aux abords de la route, alignement de grandes couronnes de terre d’env. 3 m de diamètre avec un trou central. Nous pensons à des impacts de bombes de la guerre Iran-Iraq. A Yazd, nous comprendrons que ce sont des puits, les "qanat", canaux souterrains avec cheminées verticales pour évacuation de la terre et aération. Les qanat sont utilisés encore aujourd’hui. Un système judicieux de cheminée capte chaque souffle d’air pour rafraîchir l’eau ou l’intérieur des habitations. En deux mots, c’est l’ancêtre de l’air conditionné.

Cette ville est tranquille, pour la 1ère fois on se sent presque bien ! Et pour la 1ère fois aussi, soirée avec un couple de cyclotouristes hollandais Steven et Marlous au restau Malek-o-Tojjar, assis sur les tapis à fumer le "qalyan". C’est exceptionnel et magique de pouvoir partager les mêmes expériences, les mêmes feeling, les mêmes appréhensions.

Il fait toujours frais, nous aimerions bien rattraper la chaleur du sud. Direction Chiraz, la route est jolie et tranquille.

La nuit Chris fait un cauchemar pendant que j'essaie vainement de la réveiller : elle voit une tête de femme de profil, les yeux mi-clos, en train de hurler. Elle se réveille finalement pour entendre réellement des hurlements, ce sont des hyènes qui rient proche de la tente !IIl est 1h30 du matin. Nous sommes isolés, nous ne connaissons pas bien ces bêtes, que faire ? J'ouvre la tente rapidement, elles disparaissent.

Christine est câlinée
On décide de quitter la route principale en passant par la montagne, sachant que c’est de la piste et qu’il est un peu tard. On trouve le chemin derrière la maison d’un petit village. Un jeune en mobylette veut coûte que coûte passer sur ma droite et me pousse, je résiste sans comprendre ses intentions, il insiste, j'abandonne. Il voulait juste toucher les fesses à Christine qui roulait devant moi. Chris l’insulte et je lui crie la menace "police police". Ils en ont peur. Chris commence à péter les plombs sur ces attitudes cavalières. Suite à cette histoire, plutôt qu’isolés, nous préférerions dormir au village suivant, encore loin. La piste caillouteuse monte et c’est très dur mais superbe dans les couleurs du soir.

Nous arrivons enfin au village sans électricité, dans une nuit noire comme de l’encre (clin d’oeil aux genevois). On appelle, les chiens nous répondent, ils aboient sans approcher, ils ont peur de nous !
Enfin, un petit homme courbé apparaît et dans la minute qui suit, nous fait le thé pendant que nous nous installons sur les tapis d’un lieu de prière.
Le lendemain matin, nous retrouvons notre piste qui courre en fond de vallée.

Persépolis
La cité magnifique de Persépolis de l'ancien empire Achéménide est un des chefs-d'oeuvre du Proche-Orient ancien. C'est le plus grandiose monument du pouvoir impérial en Iran. D'idéologie perse, mais de réalisation internationale. Les travaux commencèrent en 518 av. J.-C. sous Darius Ier et s'étendirent sur une période d'environ 150 ans. La cité fût brûlée par Alexandre le Grand en 330 av. J.-C.

Christine attire la douceur
Nous repartons pour Chiraz à 300 km. Cette fois Christine reçoit une frappe sur l'épaule par un gars qui la dépasse en mobylette. Nous avons du mal à vivre ces gestes cons qui sont finalement journaliers. Nous commençons à avoir hâtes de passer la douane mais il reste 1 200 km pour prendre un bateau pour Dubaï aux Emirats. A Chiraz, nous sommes invités dans une famille sympa chez Hossein qui a fait des études en France. Nous restons chez lui 3 jours et nous irons ensemble dans un restaurant nomade pour la soirée de Noël.

Christine dans un café Internet
On quitte Hossein pour s’installer à l’hôtel afin d’être proches du centre ville et d’Internet. On visite Chiraz. Dans un Internet café, un mec se masturbe sans gêne à côté de Chris. Je l’interpelle alors qu’il est en pleine action, il continue, je gueule, il se lève, paye et file. Le patron d’Internet est confus et s’excuse. Il y a réellement un problème, justifié par les Iraniens comme étant dû à un manque de liberté. C’est le premier pays musulman où nous rencontrons ces attitudes. Les jeunes garçons regardent la pornographie sur Internet, toutes les filles sont blondes, les Européennes ne peuvent donc être que des cochonnes. Les jeunes filles rêvent et bavardent sur Internet avec les jeunes garçons européens.
Nous partons pour le sud direction Bandar-e-Langeh. Nous sommes invités chez un riche propriétaire de vergers. La matrone fume le narguilé. Il y a du monde le soir et c’est dynamique. Notre chambre est un 5 étoiles. On mange comme des rois (avec toutes sortes de petites herbes fraîchement cueillies). Nous avons quitté les Perses et entrons à nouveau chez les Arabes qui vivent le long du Golfe Persique. On se sent bien et la montagne est magnifique

Nous voilà en bord de mer, un journaliste nous interview au resto Ghavam. Nous y retrouvons plus tard nos amis suisses Olivier et Sarah (qui pètent les plombs eux aussi) ainsi que nos amis hollandais, Sander et Herbert. On fera ensemble le réveillon du 31 et on finira tous dans notre chambre avec bougies, musique et thé à gogo.

Nous pensons aller prendre un bateau pour les Emirats à Bandar-e-Lengeh. La petite route qui longe la côte sur 700 km est paisible (ce qui est nouveau pour l’Iran), jolie et étonnante. La 1ère journée est assez dure (122 km) et mal au cul. Les réservoirs d’eau sont amusants et les gens nous paraissent de plus en plus sympas, discrets et courtois.

Chris enfourche un flic
Notre mal au cul s’aggrave ! Le lendemain, on roulera 148 km en 9h, sans en avoir le choix !
Traversée de la ville d’Asaluyeh avec usines pétrochimiques sur 40 km. L’horreur, notamment pour les ouvriers qui y travaillent et y vivent. Un prof. d’école insiste : Pour votre sécurité, il vaut mieux ne pas vous y attarder et comme par hasard cinq flics nous suivent en voiture depuis pas mal de km. Ils restent toute la journée collés à ma roue, comme pour me faire accélérer. Ils nous suivront encore le lendemain jusqu’à Bander-e-Mokam en changeant les équipes toutes les 2-3 heures ! On n’arrive pas à savoir exactement pourquoi. Ils semblent ne pas trop savoir non plus. On les ignore en prenant notre pique-nique au bord de la mer. Eux s’impatientent mais n’abandonnent pas. Nous doutons de plus en plus de leurs intentions. On sent qu’ils ont reçu des ordres mais ils sont malgré tout aimables et souriants. A nos questions, ils répondent que la région est dangereuse, des hommes peuvent nous tirer dessus juste pour prendre nos vélos. Que penser? Il faudra bien dormir quelques part. Ils nous demandent de continuer et continuer. Il fait nuit maintenant et sommes très fatigués, on est à 142 km avec allure soutenue. On refuse de continuer et l’on doit se fâcher vraiment. La route de nuit est plus dangereuse pour nous que tout le reste. En colère, je dis à Chris : on y va, et Chris enfourche un flic avec sa roue avant et le bourre. Chris écoute toujours ce que je lui dit ! On doute de plus en plus de leur bonne foi. La région est arabe et les Perses sont racistes. Ils semblent plutôt nous surveiller que nous aider. Ils décident enfin de nous faire dormir dans un poste de police (qui est d’ailleurs le leur comme on constate plus tard) à 6 km ouf ! De plus ça descend. On arrive au village de Kushkonar, on monte la tente dans leur cour, mais là ! Vous n’aurez pas de photo.
Le lendemain, nos relations dégénèrent. Ils veulent que l’on prenne l’autoroute, ils sont devant et tournent à gauche, on part à droite sur la petite route côtière. Ils viennent de comprendre que l’on ne fait pas une course, mais une visite ! Toute la journée, paysage absolument magnifique.

On longe la mer qui scintille, des roches érodées, palmiers, sable d’or, villages de pêcheurs. Leur motivation ne semble plus être là. Puis la toute dernière relève, un gars en mobylette s’excuse de ne plus pouvoir assurer notre protection car il n’a pas de voiture pour nous suivre ! Le soir on s’arrête dans un village isolé pour demander où dormir. Chris s’approche d’une femme qui se précipite chez elle et ferme la porte. Je n’avais jamais remarqué que Christine faisait peur mais 1 min. plus tard, cette dame ressort de chez elle, le visage caché par la bourka (masque typique). D’autres femmes avec bourka viennent à nous, c’est impressionnant, un autre monde ! On demande à dormir ici, on nous envoie camper dans la cour d’école, super ! On nous laisse tranquille et les enfants sont admirateurs et observateurs. Il y a du respect et de la discipline chez les Arabes du sud Iran, nouveau pour nous dans ce pays.

Nous quitterons l’Iran, contents de l’avoir visité et contents de le quitter.
We love you, avec un dernier petit sourire.

Sachez d'ores et déjà que nous sommes amoureux d'Oman, où nous sommes actuellement.
A bientôt.